Entretien avec Corinne Mille-Claire, directrice adjointe au lycée professionnel maritime et aquacole de La Rochelle.

Corinne Mille-Claire, directrice adjointe au lycée professionnel maritime (LPM) et aquacole de La Rochelle, revient sur les actions qu’elle promeut en faveur de l’égalité femmes-hommes et contre toute forme de discriminations au sein de son établissement. Ses valeurs : le vivre ensemble, le respect et la lutte contre toutes les inégalités. Le secteur maritime, traditionnellement masculin, s’ouvre progressivement aux femmes.

 
« Quand des femmes s’emparent des métiers traditionnellement masculins, elles font tout pour l’adapter .
Nous semons une multitude de graines qui finiront par germer. C’est un travail de longue haleine vers la prise de conscience et l’éveil. »

- En quoi consistent vos missions de directrice adjointe du LPM ?

Mon quotidien est riche et varié, loin de la routine. Il s’agit avant tout de seconder le chef d’établissement dans le bon fonctionnement du lycée, pour qu’il soit le plus efficient possible. Il y a les activités classiques organisationnelles ou d’animation des équipes pédagogiques. Mon rôle est aussi de contribuer à ce que chaque jeune puisse recevoir la formation qu’il est venu chercher pour trouver ensuite sa place dans des métiers d’avenir. On se doit en effet de les former aux mutations de l’environnement professionnel et de la société. Mon but est qu’ils s’épanouissent pleinement. Les lycées professionnels sont aussi des lycées de la deuxième chance pour certains jeunes qui ont été abîmés par le système scolaire, en quête d’une nouvelle confiance et d’une motivation retrouvée. Nos formations professionnelles, très qualifiantes, permettent de redonner confiance en l’avenir, y compris pour des adultes venus se reconvertir dans le secteur maritime.

« - Quel est votre parcours ? »

Originaire de Marseille, je me suis très naturellement tournée vers le milieu marin qui constitue ma passion depuis toujours. Mais mon parcours est assez atypique. J’ai suivi une formation universitaire de biologiste qui m’a menée, après une spécialisation en aquaculture et valorisation des produits aquatiques, jusqu’à un doctorat en physico-chimie des bioproduits à Nantes, avec un intérêt particulier pour l’usage des algues à des fins cosmétologiques. J’ai ainsi été chercheuse au laboratoire de cosmétologie et de pharmacie de Nantes et mon expérience comme enseignante chercheuse m’a permis de me former à la pédagogie. J’ai emménagé en Charente-Maritime pour des raisons familiales en 1994 et rejoint le lycée maritime et aquacole de La Rochelle à la rentrée scolaire de cette même année, comme professeure. J’ai enseigné d’abord en formation continue pour le CAP poissonnier puis en formation initiale auprès des élèves de la filière cultures marines. Je suis directrice adjointe depuis la rentrée 2016.

- Pouvez-vous décrire en quelques mots les actions en faveur de l’égalité femmes-hommes que vous déployez au sein votre établissement ? Quels sont vos objectifs ?

Le lycée est très engagé dans la lutte contre toute forme de discriminations et le combat contre les inégalités femmes-hommes est au centre de cet investissement. Nos objectifs ? Améliorer le bien vivre ensemble, apprendre la tolérance, refuser les préjugés et les inégalités en valorisant la personnalité de chacun. Pour cela, nous souhaitons mettre à disposition des élèves des outils pour comprendre et analyser les représentations des femmes au sein des médias, de la publicité, des jeux vidéos, etc. Le but est que les jeunes soient capables de décrypter les messages cachés pour ne pas tomber dans les clichés. Le mot clé est la pédagogie. Nous voulons montrer aux jeunes hommes en particulier que les femmes sont des marins comme les autres, et surtout qu’elles ont le droit de prétendre aux métiers maritimes. Nous avons la chance d’avoir avec nous une référente jeunesse et une infirmière scolaire qui sont très investies sur ces sujets.
Parmi les actions clés que nous mettons en place : l’appel à des intervenants extérieurs. Il est important de montrer que les messages que nous portons en interne sont également portés par des personnalités extérieures. Nous travaillons notamment avec la Ligue de l’enseignement et avons par exemple organisé une exposition autour de photos et de publicités, qui a permis aux élèves d’échanger sur la représentation des femmes et des hommes, ainsi que sur les messages cachés derrière ces représentations. Nous avons également participé à un tour de France de l’égalité femmes-hommes et dans ce cadre contribué à une table ronde sur la place des femmes dans le secteur maritime : où sont-elles ? Quels sont les blocages ? Que faire pour améliorer l’image des métiers maritimes auprès du public féminin ? Autre exemple, nous avons mis à disposition des élèves une BD publiée récemment : « La ligue des super féministes ». Une façon ludique de se sensibiliser au sujet. Nous avons aussi participé à la réalisation du calendrier de la Communauté d’Agglomération de la Rochelle sur les métiers maritimes. 2018 était consacré aux hommes, 2019 aux femmes.

- Selon vous, ces actions sont-elles efficaces ?

Je crois en l’importance de donner aux élèves les bons outils pédagogiques pour comprendre les enjeux. C’est un combat de longue haleine, les résultats concrets ne se verront pas forcément du jour au lendemain. Néanmoins, nous percevons des évolutions au sein de l’équipe pédagogique. Les élèves semblent de plus en plus réceptifs. Ne nous voilons pas la face, il y a encore des attitudes sexistes. Toutefois, on remarque des propos ou des attitudes vis-à-vis de tels comportements, qui autrefois auraient été passés sous silence. Je pense que le mouvement #MeToo a également fait du bien. Il y a des choses aujourd’hui qu’on ne doit plus accepter.
Il y a encore beaucoup de préjugés sur les métiers maritimes : ils seraient davantage masculins, notamment les métiers de navigants ou de techniciens. Pourtant, quand des femmes s’emparent d’un métier traditionnellement masculin, elles font tout pour l’adapter. On constate par ailleurs que les filles ont des taux de réussite scolaire élevés dans notre secteur. Elles nous prouvent d’ailleurs chaque jour quelles sont tout à fait capables d’effectuer les mêmes activités que leurs homologues masculins. De plus, la présence de filles a tendance à tirer une classe vers le haut.

- Qu’est-ce qui vous motive au quotidien ?


Être au contact de la mer et des futurs professionnels de la mer est pour moi une grande source de satisfaction. Les jeunes attendent énormément de nous et nous font confiance. C’est très gratifiant. J’ai aussi la chance d’être entourée d’une équipe qui s’investit, qui démontre chaque jour l’importance des valeurs maritimes. Pour reprendre la devise du lycée de Sète, « plus qu’un esprit d’équipe, un esprit d’équipage ». Tout n’est pas rose au quotidien, mais c’est un métier particulièrement riche sur le plan humain.

* Propos recueillis par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Chiffres clés
 

Au LPM de la Rochelle, on compte une vingtaine de filles parmi les 220 élèves du lycée, soit moins de 10 % des effectifs. Un chiffre bas, mais à la hausse : c’est 12 % de plus que l’année scolaire 2017-2018.
Dans le corps enseignant, on dénombre environ un tiers de femmes. Elles sont minoritaires dans l’enseignement des pratiques professionnelles. On constate une équité dans les cultures marines.
50 % des adjoints de lycées professionnels maritimes sont des femmes, 3 chefs d’établissement sur 12 sont aujourd’hui des femmes.
12 lycées professionnels maritimes (LPM) répartis sur le littoral de l’Hexagone sous tutelle du MTES (Affaires maritimes) pour environ 1900 élèves

Crédits : LPM La Rochelle.

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